Résumé des conclusions de la Commission

 

« La réinstallation dans l’Extrême-Arctique : un rapport sur la réinstallation de 1953-1955 »

Résumé des conclusions de la Commission


Témoignant devant le comité permanent des affaires autochtones de la Chambre des communes en mars 1990, John Amagoalik a déclaré qu’il y avait plus de 30 ans qu’on s’occupait du dossier de la réinstallation à l’Inuit Tapirisat du Canada (ITC), dont il était alors président. La Société Makivik et l’ITC avaient fait, depuis la fin des années 70, des démarches répétées auprès des ministres et sous-ministres des Affaires indiennes et du Nord à ce sujet. De nouveaux efforts ont été tentés à partir de 1982. On trouvera à l’annexe 5 un bref aperçu des évènements survenus depuis cette date et à la Partie 4 du Résumé de la documentation, une description plus détaillée des efforts déployés pour régler les griefs des réinstallés.

Avec le temps, le fossé entre la position des réinstallés et celle du gouvernement s’est élargi. Le gouvernement est aussi revenu sur des positions prises précédemment. Après avoir soutenu qu’il n’avait pas eu vent d’une promesse de retour, il a reconnu qu’une telle promesse avait bel et bien été faite, mais non tenue. Dans les années 80, le gouvernement a fait diverses déclarations sur le rôle de la réinstallation dans le maintien de la souveraineté du Canada, déclaration qui semblait confirmer les allégations des réinstallés selon lesquelles la souveraineté avait pesé dans la décision. Le point de vue actuel du gouvernement est que la souveraineté n’entrait pas en ligne de compte. S’il avait reconnu d’emblée l’inexécution de la promesse de retour et pris des mesures pour réparer l’injustice, les griefs auraient fort bien pu être réglés rapidement. Le revirement de position sur la souveraineté n’a fait que jeter de l’huile sur le feu, et les réinstallés n’ont pas compris le refus du gouvernement d’adopter les recommandations unanimes du Comité permanent des affaires autochtones.

Le gouvernement a réagi à chaque étude ou rapport qui lui était défavorable par une étude plus exhaustive. Il a soumis chacun des griefs à une analyse approfondie. Il s’est attaché, semble-t-il, à se défendre contre ces griefs et à présenter les initiatives gouvernementales sous le meilleur jour possible. En agissant ainsi, il a projeté l’image d’un adversaire qui soutient un point tant qu’il peut trouver des arguments en sa faveur et concède un point seulement lorsqu’il se trouve en présence de preuves irréfutables. Il ne s’est pas donné la peine de revenir en arrière pour examiner les griefs globalement dans le contexte social, politique et culturel qui existait à l’époque de la réinstallation. S’il s’y était pris autrement, il aurait pu en arriver à une nouvelle vision des choses qui lui aurait permis de constater le bien-fondé des doléances des réinstallés et de s’acheminer vers un règlement plus positif.

En résumé, la façon dont le gouvernement a traité les griefs n’a fait qu’accroître la méfiance et renforcer un profond sentiment d’injustice.

Les audiences et l’analyse de la Commission éclairent d’un jour nouveau la réinstallation dans l’Extrême-Arctique. La comparaison des éléments de preuves recueillis permet de réévaluer les responsabilités du gouvernement et représente un premier pas vers une réconciliation plus fondamentale entre les réinstallés et le gouvernement.

D’après les témoignages et l’analyse qui précèdent, la Commission en arrive aux conclusions suivantes :


La dépendance et la vulnérabilité des Inuit
1. La réinstallation dans l’Extrême-Arctique s’est déroulée dans un contexte culturel où les Inuit se sentaient généralement dépendants des non-Inuit et impuissants dans leurs rapports avec eux. Les non-Inuit étaient très conscients du pouvoir qu’ils exerçaient sur les Inuit, ces derniers allant même jusqu’à prendre pour des ordres les simples désirs de non-Inuit bien intentionnés. Le gouvernement était représenté dans l’Arctique par des agents de la GRC, qui étaient particulièrement craints des Inuit.
2. Les Inuit n’étaient pas tous aussi dépendants et vulnérables. Il y a lieu de croire que ceux du Nord du Québec l’étaient beaucoup plus que ceux du nord de l’île de Baffin.


L’attachement des Inuit à la terre natale et à la famille
3. Les Inuit sont particulièrement attachés à leur coin de pays et à leur famille. Au moment de la réinstallation, les non-Inuit étaient au courant de cet attachement.
4. La région d’Inukjuak est habitée depuis des siècles par un nombre assez important d’Inuit, dont le mode de vie traditionnel est axé sur la chasse et la pêche.


Le paternalisme des décisions gouvernementales
5. Au début des années 50, le gouvernement ne tenait généralement pas compte des désirs et des aspirations des Inuit lorsqu’il prenait des décisions à leur sujet. Les décisions gouvernementales reflétaient plutôt une vision paternaliste de ce qui devait être bon pour les Inuit et tendaient à minimiser ou à négliger leurs besoins et leurs désirs.


La souveraineté en tant que facteur
6. La réinstallation a eu lieu à une époque où le gouvernement s’inquiétait de la souveraineté de facto du Canada en raison de la présence des États-Unis dans l’Arctique. Cette inquiétude en cachait une autre, à savoir qu’avec le temps, on pourrait contester sa souveraineté de jure s’il ne maintenait pas une présence active dans le Nord. Le poids de la preuve donne à penser que la souveraineté a été une considération réelle dans la décision de la réinstallation, même si les motivations premières étaient d’ordre social et économique.


La croissance démographique et la diminution du gibier n’ont pas été des facteurs
7. Selon les renseignements dont disposait le gouvernement au début des années 50, la population de la région d’Inukjuak n’augmentait pas. Elle était plutôt stable à cause du taux de mortalité élevé. Il n’y avait pas lieu de croire non plus à une diminution importante des ressources en gibier. En fait, la situation était la même depuis 30 ou 40 ans.


L’effet des prestations gouvernementales sur le sens des valeurs des Inuit
8. On s’inquiétait au Ministère de l’instabilité à long terme du commerce des fourrures et de la capacité de maintenir ainsi les revenus aux niveaux auxquels les Inuit d’Inukjuak étaient habitués. Comme le gouvernement ne voyait pas comment les revenus gagnés pourraient augmenter dans la région d’Inukjuak, il craignait que le recours périodique à l’assistance publique ne devienne permanent et que d’autres prestations gouvernementales, comme les allocations familiales et les pensions de vieillesse, en viennent à représenter une part plus importante du revenu des Inuit. Il fallait périodiquement verser des indemnités de secours en raison de la nature cyclique du commerce des fourrures, les mauvaises années succédant aux bonnes suivant un cycle de quatre ans. On trouvait que les Inuit d’Inukjuak devenaient dépendants des prestations gouvernementales et perdaient ainsi leur autonomie et leur sens des valeurs.


L’idée d’amener les Inuit à dépendre davantage de la chasse
9. Les fonctionnaires croyaient pouvoir rétablir l’autosuffisance des Inuit et mettre fin au présumé déclin de leurs valeurs en amenant ces derniers à compter davantage sur la chasse et à dépendre moins du magasin. Cette solution réglerait du même coup le présumé problème économique découlant de l’instabilité du commerce des fourrures, car les Inuit seraient en mesure de suppléer aux revenus que ce commerce ne pourrait plus leur assurer à long terme. Cet objectif n’a jamais été communiqué aux Inuit.


La surpopulation par rapport aux ressources disponibles
10. On croyait qu’il serait possible d’amener les Inuit d’Inukjuak à compter davantage sur la chasse pour diminuer leur dépendance vis-à-vis du magasin, à moins de les réinstaller ailleurs sur le littoral québécois, dans les îles de la Baie d’Hudson au large du littoral québécois ou dans d’autres coins de l’Arctique. Dans ce sens, et uniquement dans ce sens, la région d’Inukjuak était considérée comme « surpeuplée par rapport aux ressources disponibles ». Ce bout de phrase est malheureusement ambigu, et faisait allusion selon certains à une population de chasseurs qui surexploitait les ressources disponibles en gibier. Il reflète en réalité une préoccupation économique du gouvernement liée à un désir d’obliger les Inuit à chasser plus et à moins dépendre des revenus gagnés.


L’idée de « réadapter » les Inuit
11. Pour que les Inuit retrouvent leur autosuffisance et leur indépendance par un recours accru à la chasse, il fallait les ramener à ce qui était, selon les non-Inuit, leur condition originelle. L’objectif visé était la « réadaptation », et la réinstallation dans l’Extrême-Arctique était considérée à l’époque – non par les Inuit cependant – comme un projet de réadaptation.


La non-communication de cet objectif aux Inuit
12. On n’a pas dit aux Inuit d’Inukjuak que le gouvernement jugeait nécessaire de les réadapter et que la réinstallation visait justement cet objectif.


La réinstallation ne changerait rien aux cycles de chasse et du piégeage
13. Au moment de la réinstallation de 1953, le cycle d’abondance de la fourrure était à son apogée. Chez les Inuit valides d’Inukjuak, personne ne recevait d’indemnités de secours. La chasse était bonne, et les conditions étaient bien meilleures qu’en 1949-1950, période pendant laquelle l’industrie de la fourrure s’était effondrée et un hiver rigoureux avait rendu la chasse difficile. On connaissait de tels cycles dans toutes les régions de l’Arctique où il y avait des Inuit vivant de chasse et de piégeage. Le piégeage du renard arctique suivait un cycle de quatre ans. Même dans les régions d’abondance relative, la chasse pouvait être compromise par des conditions atmosphériques défavorables, le mauvais état de la glace ou des changements d’habitudes migratoires. Ce n’était pas en réinstallant les Inuit ailleurs qu’on allait remédier à la variabilité des conditions de vie.


Le consensus institutionnel en faveur des réinstallations
14. Tous ceux qui s’intéressaient à l’Arctique, y compris les divers ministères concernés, la GRC, l’Église anglicane, l’Église catholique et la Compagnie de la Baie d’Hudson, s’accordaient à dire que les réinstallations allaient résoudre les problèmes sociaux et économiques perçus. Il y avait toutefois des divergences d’opinions sur les modalités, certains, comme le surintendant Larsen de la GRC, prônant la création de petites communautés dotées d’écoles et de maison en bois pour que les Inuit adultes puissent conserver un mode de vie axé sur la chasse et le piégeage et que les enfants puissent recevoir l’instruction essentielle à leur avenir.


Le plan de réinstallation
15. Pour le Ministère, la réinstallation dans l’Extrême-Arctique était un moyen d’établir les Inuit dans des régions jugées giboyeuses et de les obliger à vivre surtout de la chasse tout en leur donnant l’occasion de piéger. On ouvrirait un petit magasin pourvu d’un stock limité de produits de base. La GRC serait chargée d’administrer le magasin et devrait rationner les marchandises pour assurer une distribution équitable. Elle aurait aussi un rôle d’« encourager » les Inuit à chasser.


L’aspect coercitif du plan
16. Le plan de réinstallation était foncièrement coercitif. Il visait à transplanter des gens habitués à une économie axée sur les revenus, et aux biens que ces revenus permettaient d’acquérir, dans un milieu où ils dépendraient beaucoup plus du gibier pour leur nourriture, avec toutes les difficultés que supposait un tel mode de vie. Le gouvernement n’a pas eu à recourir à la force. L’impératif de survie a fait en sorte que l’objectif recherché soit atteint.


Les aspects coercitifs de la vie dans les nouvelles collectivités
17. La vie quotidienne dans les nouvelles collectivités comportait, elle aussi, des aspects coercitifs. Le Ministère avait ordonné à la GRC de ne pas faire crédit aux trappeurs, même si les compagnies de traite avaient l’habitude de faire crédit ou d’accorder des avances. La GRC avait également reçu l’ordre d’administrer d’une main ferme la distribution des indemnités de secours. Comme les magasins étaient mal approvisionnés, il arrivait souvent que les pensions de vieillesse et les allocations familiales ne soient pas versées aux bénéficiaires sous forme de biens. Les prestations étaient alors inscrites dans un registre de comptabilité sous forme d’épargne forcée. Soucieux d’« encourager » les Inuit à faire avancer les objectifs du projet, les agents de la GRC leur disaient quoi faire et les prenaient à partie lorsqu’ils agissaient à leur tête. Les camps inuit étaient établis assez loin des installations et des équipements non inuit pour limiter les contacts entre les deux groupes, et pour éviter que les Inuit deviennent un fardeau pour le poste ou la base non inuit. Ces modestes mesures de coercition devenaient d’autant plus contraignantes lorsqu’elles étaient appliquées par la police.


Une curieuse définition du succès
18. Les signes apparents de succès d’un tel projet, l’autosuffisance entre autres, seraient interprétés de la même manière, quel que soit l’état d’esprit des réinstallés. Ces derniers devraient continuer à chasser même s’ils étaient malheureux ou souhaitaient être rapatriés. Les rapports de fonctionnaires répétant sans cesse que les réinstallés se débrouillaient bien traduisent une apparence de succès, mais passent sous silence la tristesse que ressentaient de nombreux réinstallés et leur désir d’être rapatriés.


La « réadaptation » comparée aux possibilités offertes aux chasseurs autonomes
19. Les Inuit ne dépendaient pas tous au même degré des revenus du piégeage. Le plan de réinstallation aurait pu convenir tout à fait à des gens qui vivaient surtout de la chasse, le piégeage ne fournissait qu’un appoint, et qui ne comptaient pas sur l’aide gouvernementale les années où la fourrure se faisait rare ou peu payante. En fait, les Inuit qui avaient quitté Pond Inlet pour Resolute Bay ont été satisfaits de la réinstallation. Ils n’étaient toutefois pas représentatifs de l’ensemble des réinstallés, et le plan de réinstallation lui-même s’adressait à des gens qui dépendaient largement d’une économie de revenu et s’en remettaient à l’aide gouvernementale les années de vache maigre. Même les Inuit de Pond Inlet à Grise Fiord, qui étaient habitués de pouvoir compter sur l’aide d’un magasin, trouvaient les conditions trop difficiles. On ne s’est donc pas limité à recruter des Inuit qui avaient continué de vivre à bonne distance des magasins et qui arrondissaient leurs revenus de chasse en faisait de la traite.


Un recul
20. À l’époque de la réinstallation, Inukjuak était un peuplement important, pourvu d’un poste de traite de la Compagnie d’Hudson, d’un poste de police, de missions religieuses, d’une école, d’un dispensaire, d’une station météorologique et d’une installation radio du ministère des Transports, et d’un aménagement portuaire. L’école et le dispensaire avaient été établis peu avant dans le cadre d’un programme gouvernemental visant à remédier à des années de négligence. Les nouvelles collectivités issues de la réinstallation n’avaient ni écoles, ni dispensaires, ni missions. Sous ce rapport, la décision de procéder à la réinstallation allait ramener les gens en arrière, à l’époque où les infrastructures de ce genre n’existaient pas.


Autres conséquences de l’objectif de réadaptation
21. Les réinstallés ont ressenti de diverses façons la crainte très répandue chez les administrateurs que les Inuit dépendent trop des prestations gouvernementales, autant des programmes de soutien du revenu, telles les allocations familiales et les pensions de vieillesse, qui étaient offerts aux Canadiens selon le principe de l’universalité, que des indemnités de secours, uniquement disponibles en cas d’épreuves particulières. Le plan de réinstallation visait non seulement à modifier les attentes à l’égard des indemnités de secours, mais aussi à décourager la dépendance à l’égard des programmes universels. On entendait user de pouvoirs administratifs pour restreindre ou retenir des prestations pourtant accessibles à tous les Canadiens. Certains réinstallés ont donc constatés, après leur départ d’Inukjuak, que leur prestations d’allocations familiales et de pensions de vieillesse avaient cessé. Par ailleurs, les pouvoirs publics nourrissaient la même appréhension pour tous les Inuit. Pourtant, la part des revenus gagnés et des revenus non gagnés n’était pas la même pour tous les Inuit, même au Nouveau-Québec. Les réinstallés n’étaient pas tous pareils. De plus, en 1953, les conditions s’étaient sensiblement améliorées depuis l’effondrement des prix de la fourrure en 1949-1950, et les Inuit valides d’Inukjuak ne recevaient pas d’aide gouvernementale. La crainte généralisée concernant la dépendance des Inuit à l’égard des prestations gouvernementales et l’interprétation des responsables locaux pour qui la réinstallation était un projet de « réadaptation » n’ont fait que renforcer les stéréotypes, ce qui allait envenimer les rapports entre les réinstallés et les responsables locaux chargés d’assurer leur bien-être.


Le Sous-ministre n’a approuvé qu’un canevas de projet
22. Le plan gouvernemental ne faisait mention ni de démarches ni de promesse à faire aux Inuit. Le plan approuvé par le Sous-ministre décrivait de façon très générale ce qu’on comptait faire et dans quel but. Les détails seraient mis au point au fur et à mesure, ce qui laissait beaucoup de latitude aux responsables de la mise en œuvre. Le Sous-ministre a approuvé un simple canevas.


La promesse d’un rapatriement possible
23. La décision de promettre un retour éventuel a été prise, à l’origine, par Henry Larsen de la GRC. Il semble qu’elle ait été acceptée par le Ministère. En fait, un fonctionnaire du Ministère, Alex Stevenson, a également promis à certains Inuit d’Inukjuak qu’ils pourraient être rapatriés. Ces promesses ont été consignées dans des notes et des rapports officiels à l’époque. Ces documents existent toujours. Le Ministère n’a rien prévu pour honorer cet engagement, et on n’a pas donné aux Inuit les moyens de rentrer. La teneur de la promesse n’a jamais été définie clairement. Par exemple, on ignore si elle s’appliquait à des personnes ou uniquement à un groupe entier et si elle prévoyait des visites aller-retour. Si elle devait s’appliquer uniquement à tout le groupe, les Inuit n’en ont pas été informés.


L’absence de directives précises pour obtenir le consentement des Inuit
24. Les détachements de la GRC dans le Nord québécois et à Pond Inlet étaient chargés de recruter des Inuit pour le projet de réinstallation. Les réinstallés devaient être volontaires, mais le Ministère n’a pas donné à la GRC de directives précises sur la façon d’aborder la question avec les Inuit ou d’obtenir leur consentement, même si tout le monde savait qu’il était difficile d’obtenir un véritable consentement des Inuit. L’agent de la GRC chargé de cette mission à Inukjuak a cru comprendre qu’il devait rallier les Inuit à un projet qui était dans leur intérêt, et c’est ce qu’il a fait.


L’absence d’un consentement libre et éclairé
25. On ne peut pas dire que les Inuit d’Inukjuak ont donné un consentement libre et éclairé. Ils ont cru comprendre qu’ils quittaient leur milieu pour un ailleurs meilleur, où il y aurait abondance de grands mammifères terrestres, où l’on s’occuperait d’eux et où ils bénéficieraient de l’aide du gouvernement canadien. Bien qu’on les ait avertis, dans certains cas, qu’il y aurait une période d’obscurité, les Inuit d’Inukjuak ignoraient les inconvénients et les risques du projet, et ne croyaient pas que la réinstallation pourrait bouleverser leur vie. Ils ignoraient aussi que le plan visait leur réadaptation. On leur offrait moins que ce qu’ils avaient déjà, en ce sens que le soutien du revenu par le gouvernement serait moins grand dans l’Extrême-Arctique et que la dépendance à l’égard de la chasse serait accrue. En plus des nombreuses épreuves subies, les réinstallés ont donc eu l’impression d’être abandonnés par le gouvernement et ont été profondément affligés de voir s’envoler leurs espoirs d’une vie meilleure dans l’Extrême-Arctique.


Les Inuit d’Inukjuak n’ont pas été informés de la participation des Inuit de Pond Inlet, et les deux groupes ne s’entendaient pas
26. On n’a pas dit aux Inuit d’Inukjuak que ceux de Pond Inlet iraient les rejoindre. Les dialectes d’Inukjuak et de Pond Inlet diffèrent sensiblement ; le mode de vie des deux groupes diffère aussi. Les Inuit d’Inukjuak et ceux de Pond Inlet ne s’entendaient pas très bien dans les nouvelles communautés. Le gouvernement voulait que les Inuit de Pond Inlet aident ceux d’Inukjuak à s’adapter aux conditions climatiques de l’Extrême-Arctique. Cette idée ne tenait toutefois pas compte des perturbations que pouvait causer la cohabitation de groupes différents dans une collectivité isolée.


Les Inuit de Pond Inlet n’ont pas été dédommagés
27. Les Inuit de Pond Inlet se trouvaient à rendre service au gouvernement en donnant des conseils à ceux d’Inukjuak ; ils s’attendaient à être payés en retour, mais en vain. Le gouvernement n’a pas veillé à ce que les conditions de participation des Inuit de Pond Inlet leur soient bien expliquées. Il devrait assumer la responsabilité du malentendu.


La décision de dernière minute d’envoyer des familles d’Inukjuak à Resolute Bay
28. Le plan initial prévoyait que des Inuit de Fort Chimo iraient à Resolute Bay, où ils pourraient travailler à plein temps ou à temps partiel. Ce volet du plan a été abandonné parce que le gouvernement n’avait jamais eu l’intention de construire des logements à Resolute Bay et que les Inuit de Fort Chimo étaient habitués à vivre dans des maisons. Les mesures envisagées par le Ministère ne tenaient pas compte des caractéristiques des gens. Par conséquent, on a minimisé l’importance du volet emploi dans le projet de réinstallation à Resolute Bay, et il a été décidé que ce serait plutôt des gens d’Inukjuak qui iraient à Resolute Bay, où ils vivraient de chasse et de piégeage.


Une séparation imposée aux Inuit d’Inukjuak
29. Les Inuit d’Inukjuak croyaient qu’ils iraient tous au même endroit ; on leur avait dit qu’ils allaient à l’île Ellesmere. Ce n’est qu’une fois rendus dans l’Extrême-Arctique, au moment où ils ont effectivement été séparés, puis envoyés en différents endroits, qu’ils ont compris. Ils ont alors vécu une expérience pénible et douloureuse, et, dans les circonstances, il s’agissait nettement d’une séparation forcée.


Une méconnaissance des besoins des réinstallés
30. Une fois le plan mis en branle, le gouvernement s’est appliqué à l’exécuter sans se soucier des différentes questions dont il aurait dû tenir compte lors de la planification. Les réinstallés allaient avoir besoin de peaux de caribou pour la literie et l’habillement, ce qui était essentiel dans ces régions. Le Ministère est allé de l’avant même si les peaux nécessaires n’étaient pas disponibles ; les réinstallés sont partis pour le Nord avec 60 peaux au lieu des 600 dont ils auraient besoin pour la literie et l’habillement au cours de l’année à venir. Ils sont arrivés dans l’Extrême-Arctique sans disposer de tout le matériel nécessaire pour y vivre.


La propagation de la turbeculose à Resolute Bay
31. La collectivité inuit de Resolute Bay a été infectée par la tuberculose, peut-être propagée par les gens d’Inukjuak. Cette maladie a ajouté aux difficultés, car de nombreuses personnes ont dû être envoyées dans des hôpitaux du Sud pour des périodes prolongées.


Un emploi abusif de la Caisse de prêts aux Esquimaux pour les besoins du Ministère
32. Les magasins des nouvelles collectivités étaient financés par la Caisse de prêts aux Esquimaux. Il n’a pas été établi qu’on ait discuté de prêts avec les réinstallés avant leur départ. Une fois qu’ils étaient arrivés dans l’Extrême-Arctique, l’agent de police obtenait la signature de l’un d’eux, qui agissait alors comme emprunteur. L’entente de prêt était plutôt rudimentaire. En réalité, la Caisse de prêts servait les fins du Ministère, un Inuk signant une entente de prêt en pure forme. C’est l’agent de police qui gérait le magasin. C’était donc une formalité d’obtenir la signature d’un Inuk, une formalité non pas au sens juridique, mais dans le sens de quelque chose d’entièrement superficiel et dénué de toute valeur intrinsèque. Dans les circonstances, la signature d’un Inuk sur des documents de prêts n’équivalait pas à un consentement.


L’isolement dans l’Extrême Arctique
33. En plus de la période d’obscurité, l’environnement des nouvelles collectivités de l’Extrême-Arctique était sensiblement différent d’Inukjuak. Les conditions climatiques y sont plus rigoureuses, et les variétés de gibier, beaucoup plus limitées. La transplantation a donc entraîné des changements importants pour les réinstallés. Les Inuit d’Inukjuak se sentaient loin de leur milieu d’origine, ayant été séparés de la famille immédiate, de la famille étendue et des amis demeurés à Inukjuak. Ils étaient également isolés des installations non inuit, leurs camps étant situés à l’écart. Enfin, les différences entre les groupes d’Inukjuak et de Pond Inlet ont ajouté au sentiment d’aliénation dans les très petites collectivités composées de seulement quelques familles.


La difficile adaptation à la terre d’accueil
34. Les Inuit d’Inukjuak ont été mis dans une situation où, pour survivre, ils ont dû s’adapter à une région très différente de leur milieu d’origine sur les plans du climat, du terrain et des conditions de chasse. Il y avait aussi des différences notables dans les types et variétés de poissons et de ressources en gibier; les réinstallés ont donc dû adapter leurs techniques de chasse, découvrir où et quand ils pouvaient trouver facilement les différentes sortes de gibier, et adapter leur équipement à un terrain inhabituel, surtout dans la région de Grise Fiord. Ils ont dû également modifier leur alimentation. À Grise Fiord, les Inuit d’Inukjuak allaient devoir apprendre à tirer de l’eau des icebergs échoués. Ils avaient aussi l’habitude de brûler du bois; or même s’ils pouvaient en trouver au dépotoir de la base à Resolute Bay, les lampes à l’huile de phoque étaient à Grise Fiord, le seul moyen de cuisiner et de se chauffer. Le temps rigoureux et les périodes d’obscurité rendaient plus ardues les tâches quotidiennes et exigeaient une adaptation psychologique. Les Inuit d’Inukjuak ont trouvé l’adaptation difficile – beaucoup plus difficile que prévu, sans doute.


Les dangers d’un projet expérimental pour la vie et la santé des Inuit, et l’insuffisance des mesures préventives
35. La réinstallation visait à déterminer si les Inuit pouvaient s’adapter à la vie dans l’Extrême-Arctique. Elle comportait un risque réel si les Inuit ne parvenaient pas à tirer leur subsistance du milieu ou s’ils avaient beaucoup de mal à apprendre comment en exploiter les ressources. Ce risque se serait concrétisé au cap Herschel si les gens avaient pu s’y rendre, car le gibier a déserté la région à l’hiver 1953-1954.

Les vivres expédiés aux magasins de Resolute Bay et de Craig Harbour n’étaient pas suffisants pour subvenir aux besoins des gens si ces derniers ne pouvaient prendre suffisamment de gibier ; ils visaient seulement à compléter leurs prises. Rien ne prouve que le Ministère disposait d’un plan d’urgence pour le cas où le gibier n’aurait pas suffi aux besoins alimentaires. Il n’a pas été non plus question des risques inhérents au projet avec les Inuit. On les a simplement assurés que le gibier abondait dans l’Extrême-Arctique et qu’ils y auraient une vie meilleure.

Une partie du matériel destiné à Resolute Bay n’est pas arrivé ; les fournitures manquantes ont finalement été transportées par avion par l’ARC quelques temps après janvier 1954, soit avec plus de cinq mois de retard. À Craig Harbour/Grise Fiord et Resolute Bay, les peaux pour la literie et l’habillement sont arrivées vers la fin de l’hiver 1954. Par contre, si un poste du gouvernement canadien avait été établi dans l’Extrême-Arctique et que le personnel eût manqué d’articles essentiels comme de la literie et des vêtements pour l’Arctique, le gouvernement aurait sûrement fait le nécessaire pour que ces articles soient expédiés immédiatement. Le recours à un prêt pour procéder à la réinstallation limitait la capacité financière du Ministère de parer aux imprévus susceptibles de survenir dans ce qui était essentiellement un projet gouvernemental. Le projet était sous-financé et, en cas d’imprévu, lorsque les fournitures n’arrivaient pas, par exemple, les considérations financières l’emportaient sur le bien-être des Inuit. Les imprévus se traduisaient par des difficultés accrues pour les réinstallés.


L’absence d’embarcations
36. Les grandes embarcations occupaient une place importante dans la vie et le statut social des gens d’Inukjuak. Ces embarcations avaient été laissées sur place. Les réinstallés croyaient qu’ils disposeraient d’embarcations dans leur nouveau milieu. Aucune disposition n’a été prise pour leur en fournir.


Les épreuves et les souffrances, résultat d’un plan déficient
37. Dans le cas de la réinstallation, on n’était pas en présence d’un plan pertinent qui se heurte à des accidents de parcours. Le plan était foncièrement déficient, et les moyens nécessaires à sa mise en œuvre laissaient aussi à désirer. Les ratés n’ont fait qu’ajouter aux épreuves et souffrances prévisibles dès le départ.


Le piètre approvisionnement des magasins
38. Les petits magasins étaient toujours mal approvisionnés et, surtout à Grise Fiord, les gens ont souffert de privations tout au long des années 50.


La difficulté de trouver des conjoints
39. Les collectivités étant petites, les jeunes gens avaient de la difficulté à trouver quelqu’un avec qui se marier.


La limitation des déplacements
40. Même si Grise Fiord n’offrait pas autant d’occasions d’emploi que Resolute Bay, on empêchait quand même les gens d’aller à Resolute Bay pour y rejoindre des membres de leur famille ou tirer profit d’autres possibilités.


Le non-respect de la promesse de rapatriement
41. Le gouvernement n’a pas respecté la promesse de rapatrier les réinstallés. On ne saurait compenser les souffrances qui en ont résulté en offrant aux gens de payer leur voyage de retour de nombreuses années plus tard. Il faut tenir compte des années perdues.


Les tribulations des réinstallés étaient prévisibles
42. Les tribulations des réinstallés étaient prévisibles. Elles découlaient d’un plan foncièrement coercitif, tant par son objectif que par les moyens mis en œuvre pour l’atteindre. Les lacunes de planification et de mise en œuvre, ainsi que le non-respect de la promesse de rapatriement, ont ajouté aux souffrances des réinstallés.

 

René Dussault and George Erasmus. « The High Arctic Relocation: A Report on the 1953–55 Relocation. » Royal Commission on Aboriginal Peoples . Toronto: Canadian Government Publishing, 1994. Summary of the Commission’s conclusion p.135-146